Le monde des Enfers

Essayer de comprendre comment les Grecs voyaient les Enfers conduit, tout à fait logiquement, à comprendre comment ils percevaient la mort et la vie même. Cette vision n’a cependant rien d’immuable et de dogmatique : au fil du temps, la perception de la mort et des Enfers a évolué jusqu’à acquérir, à l’époque platonicienne, l’idée d’un jugement en fonction de l’honnêteté de la vie. Une vision, au final, assez proche de celle des chrétiens donc.
A l’origine, cependant, du moins à l’époque homérique, les Enfers ne font qu’un ; on peut alors parler de l’Enfer. C’est l’Erèbe, littéralement l’Obscurité, qui est une sorte de lieu sombre et brumeux où réside tous les morts, sans distinction et quel qu’ait été leur vie ; un lieu dont on ne s’échappe pas et d’où procède toute vie.
Certes, le Tartare existe déjà chez Homère mais il n’a en fait rien à voir avec les Enfers : il n’est pas soumis à Hadès et sert de prison aux dieux réprouvés et aux héros bannis. Le commun, quant à lui, se regroupe indistinctement dans les profondeurs de la Terre. L’inhumation explique cette croyance et l’idée du retour à la Terre-mère, la Terre nourricière explique la pratique. Le religion grecque archaïque ressemble en cela à toutes les mythologies indo-européennes originelles qui ont une perception cyclique de la vie… et donc de la mort.
Les Enfers sont donc souterrains. Et le séjour des morts, s’il n’a rien de particulièrement violent, se résout à une existence pâle, décolorée, sans consistance. Sans corps, bien sûr, sans force, les âmes des morts errent sans but, ayant perdu jusqu’à leur conscience. La mort est alors une véritable mort de l’âme en même temps que du corps. Ombres du défunt, elles n’ont conservé que l’apparence du corps, et sont impalpables, échappant à l’étreinte des vivants. Comparées à une fumée, à un songe, les âmes des morts n’ont plus de voix et ne produisent qu’un sifflement. Pourquoi voudraient-elles parler, d’ailleurs, n’ayant plus ni sentiment ni conscience… Le fait qu’Homère compare les âmes défuntes aux songes n’est pas anodin : les divinités chtoniennes ou leurs monstres peuplent fréquemment les rêves, annonçant la mort. C’est d’ailleurs aussi le cas des fées médiévales, comme Mélusine, qui sont annonciatrices ou vecteurs de mort…
Le conception homérique des Enfers perdurera jusqu’à la fin du VIIe siècle. L’apparition de l’orphisme -et d’autres cultes à mystères comme le culte dionysiaque ou éleusien- ne bouleverse pas uniquement la théogonie traditionnelle mais également la vision des Enfers. L’âme devient alors immortelle, une idée qui, si elle n’est pas niée par Homère, n’est nullement affirmée. L’orphisme, au contraire, en fait un socle, comme il affirme la supériorité de l’âme sur le corps qui devient « le tombeau de l’âme ». Le but est alors de s’affranchir de ce corps, ce qui n’a rien d’évident car, selon la mythologie orphique, l’âme a fauté, ce qui explique que l’âme soit prisonnière d’un corps –humain ou animal. L’orphisme seul permet de sortir de ce cercle immuable, un cercle né à la suite d’une faute commise par l’homme-âme et qui le bannit définitivement du monde des dieux. Quelle est cette faute ? Les textes ne sont guère explicites mais il paraît difficile de ne pas faire un parallèle avec le péché originel rapporté par la Bible.
La conception orphique de la mort et des Enfers implique également l’idée d’un jugement de l’âme. Prononcé par Hadès ou Perséphone, ce jugement dépend avant tout de l’implication du mort dans les mystères orphiques. Les profanes n’ont droit qu’aux ténèbres et à la boue et sont même condamnés à puiser sans cesse de l’eau. Le supplice de Tantale n’est pas loin… Quant aux criminels, ils sont rejetés au fond du Tartare où ils subissent les pires tourments. Déjà, donc, le Tartare n’est plus réservé aux seuls dieux. Et ce n’est pas le seul lieu qu’ils doivent partager : les initiés de l’orphisme sont accueillis dans l’Elysée souterrain, la demeure des êtres purs et des dieux. Puis, lorsqu’ils ont enfin achevé le cycle de leurs réincarnation, c’est, selon Pindare, la félicité suprême qui les attend dans les îles Fortunées. Heureux les adeptes de l’orphisme et ceux des mystères dionysiaques et éleusiens ; heureux les initiés qui sont « purs », « saints », quant le profane paye, de toute façon, son incroyance. Malgré tout, il faut voir dans ces religions à mystères l’apparition d’une croyance en une sanction morale selon la vie du défunt. Une sanction qui apparaît très clairement à l’époque classique. Mais alors les juges des Enfers ne sont plus Hadès ou Perséphone mais Zeus ou, dans l’Apologie de Platon, ses fils : Minos, Rhadamante et Hermès. Un dépossession complète du rôle d’Hadès en faveur de Zeus qui ressemble presque à une « monothéisation »…

Kennedy ou le mythe américain

John Fitzgerald Kennedy (1917-1963).
John Fitzgerald Kennedy (1917-1963).

Il est le plus populaire des présidents américains. Il symbolise à lui tout seul l’Amérique moderne des années 60, celle qui conduira à la reconnaissance des droits des noirs, celle de la conquête des étoiles. Pourtant, si l’on regarde avec quelque attention le bilan politique de Kennedy, force est de constater qu’il paraît bien maigre au vu de la réputation de l’homme. De fait, Kennedy l’homme autant que Kennedy le politique tient avant tout du mythe historique. Un mythe qui né de l’instant où le président s’effondre, touché par une balle.
Fils d’un ambassadeur, officier de marine dans le Pacifique durant la Deuxième Guerre mondiale, journaliste, vainqueur du prix Pulitzer en 1957 pour son livre Profiles i courage, John Fitzgerald Kennedy avait décidément tous les atouts pour accéder à la plus haute fonction. Des atouts soigneusement promus, parfois même un peu arrangés par son diplomate de père, Joseph Kennedy, une sorte d’autocrate version familiale et qui avait décidé du destin exceptionnel de son fils. Pour atteindre au but, le fils deviendra la représentant du Massachussets au Congrès -de 1946 à 1953- puis au Sénat -de 1953 à 1960.
On a beaucoup écrit sur l’immense popularité de Kennedy. Pourtant, il lui faudra batailler ferme pour accéder au pouvoir suprême. Et la première étape n’était pas des moindres puisqu’il s’agissait de convaincre le Parti démocrate d’en faire son champion sur des thèmes aussi novateurs et peu porteurs que l’Alliance for progress -soit l’aide aux pays sous-développés-, l’intégration raciale, l’assistance aux vieillards. Des thèmes typiques des Démocrates outre-Atlantique… à la fin du Xxe siècle et au début du XXIe. Mais des thèmes qui, à l’époque, marquaient une réelle rupture avec les politiques précédentes. De fait, Kennedy est un homme de son temps et, cela, personne ne saurait le lui contester. Malgré tout, ce n’est guère qu’avec une avance de 120 000 voix sur 70 millions de suffrages qu’il est élu président des Etats-Unis en novembre 1960. Une élection qui fait de lui le plus jeune président des Etats-Unis ; une élection qui fait de lui le premier catholique à atteindre au poste suprême.
La présidence Kennedy sera celle du glamour, de la jeunesse et du charme. Trois aspects qui, grâce à une maîtrise parfaite des médias, vont contribuer à la légende Kennedy. Par contre, politiquement, nous sommes bien loin du héros de l’Amérique nouvelle. Certes, Kennedy ne présida que trois ans. Trois années qui ne suffiront qu’à entamer des chantiers et à essuyer quelques échecs retentissants. Ainsi sur le dossier des droits civiques des noirs, Kennedy n’ira pas plus loin que la promesse de campagne et c’est son successeur, Lyndon Johnson qui le fera voter par le Congrès (1964). Ainsi c’est également Kennedy qui allait augmenter l’aide au Vietnam, non parce qu’il était " en voix de développement" mais bien parce qu’il était un rempart à conserver contre le communisme asiatique. Une aide qui, en 1964, va se transformer en "escalade américaine" et en guerre du Vietnam. D’ailleurs il n’y a pas qu’au Vietnam que Kennedy décidera d’intervenir : en 1961, il subit l’échec cinglant de la Baie des Cochons, une tentative avortée contre le régime castriste de Cuba, et ne se révélera honorable dans sa gestion de la crise que lors de l’installation des missiles de Cuba. Rien de bien glorieux donc. Rien qui justifie l’auréole dont on a entouré le bilan politique de Kennedy, mais rien qui justifie non plus son assassinat.
C’est alors que le président est en pleine campagne pour le mandat suivant que les événements vont se dérouler.
Le 22 novembre 1963, John Kennedy et sa femme, Jacqueline, atterrissent à Dallas, Texas. Le cortège doit traverser la ville. Le président et sa femme, accompagnés du gouverneur Connaly et de son épouse sont dans une décapotable qui avance lentement, laissant tout loisir aux badauds d’applaudir le couple présidentiel. Des gardes du corps entourent le véhicule, en nombre. Peu importe, cependant, car dans cette voiture, Kennedy est une cible de choix atteignable par n’importe qui depuis l’étage d’un immeuble. Le cortège est à mi-parcourt lorsqu’un coup de feu éclate. Suivi d’un autre. Puis d’un autre. Au total 3 balles seront tirées sur la voiture présidentielle -c’est du moins la version officielle. Une atteindra Kennedy à la tête, une autre au dos et ressortira par la gorge, une autre blessera en trois endroits le gouverneur Connaly. Quelques heures plus tard, le médecin de l’hôpital de Dallas annonce au monde entier la terrible nouvelle : "The president is dead" -"le président est mort".
Désormais, Kennedy entre au panthéon des héros nationaux ; il fait l’objet d’un véritable culte… ce qui ne pouvait que fausser toute tentative d’éclaircissement de son assassinat. Car la question reste entière et la commission Warren -désignée par Lindon Johnson-, qui rejette l’idée d’un complot sudiste, castriste ou communiste ne convainc personne. Pourtant, on imagine mal le seul Lee Harvey Oswald, assassin présumé abattu deux jours après le président, décider d’un tel acte. Et si Oswald était bien l’assassin -conclusion à laquelle parviendra la commission Warren- qui a voulu la mort du président et pourquoi ? Les accointances mafieuses des Kennedy, et notamment de Joseph, père du président assassiné ; les attaques de Bob Kennedy contre cette même mafia lors de la présidence de son frère ; les velléités d’indépendance de certains services, comme la CIA ou le FBI -indépendance que le président avait dans l’idée de réduire, notamment après l’échec de la Baie des Cochons : difficile de savoir ou est le mythe et où est la vérité. Difficile de faire la part de l’histoire et celle de la légende. Pourtant ces questions échauffent les esprits, même 45 ans plus tard. Et certainement, elles continueront à le faire tant que la vérité ne sera pas dévoilée. Mais pourra-t-elle jamais l’être ?

Saint Léon le Grand, face aux Barbares

Icône de saint Léon le Grand.
Icône de saint Léon le Grand.

Ce Romain pur souche, fils d’un certain Quintinianus, participera, sous le pontificat de Célestin aux luttes dogmatiques qui agitent le temps, notamment, le pélagianisme, qui exaltait la nature et la volonté humaine. Il sera élu pape alors qu’il effectuait une mission diplomatique en Gaule et sera sacré le 29 septembre 440. Plus tard, il aura l’occasion de se distinguer encore contre le manichéisme et le pélagianisme et dans certaines controverses. Mais ce n’est pas tant sur le plan théologique que Léon Ier, dit le Grand, va marquer son époque. Plus que tout autre, il sera le pape qui va réaffrimer -voir affirmer- le pouvoir papal. Un pouvoir qui sera reconnu au concile de Chalcédoine (451) où l’exposé de sa doctrine, présente dans le "Tome à Flavien" sera accueilli au cris de : "Pierre a parlé par la voix de Léon !"
De fait, Léon le Grand aura toute possibilité de montrer le pouvoir du pape. Dans les controverses orientales -encore et toujours- mais également face aux Barbares qui envahissent l’Occident. Et cette position, il va l’assumer pleinement, dans les actes. En 452, lors de l’invasion des Huns, c’est Léon lui-même qui se présente devant Attila et qui le convainc d’épargner Rome -contre paiement d’un tribu annuel, tout de même. E, 455, c’est lui encore qui parlemente avec le Vandale Genséric. Moins heureux qu’avec Attila, il obtiendra malgré tout que les sévices des Vandales, qui venaient de prendre Rome, soient limités. Autant d’actions qui, sans être des actes d’éclat, montraient sa volonté d’être l’ultime rempart de l’Occident face aux Barbares.
Alors, certes, l’Europe et toute l’Afrique du Nord vont bel et bien subir ce déferlement de tribus germaniques, mais c’est justement vers l’Eglise que les populations vont se tourner naturellement. C’est également l’Eglise qui sera le seul bastion restant dans cet empire d’Occident en désintégration complète. C’est l’Eglise, enfin, qui initiera la reconstruction de cet empire, devenu germanique. En cela, Léon Ier mérite pleinement son surnom de "Grand".

Le meurtre des enfants d’Edouard

Les fils d'Edouard IV, Edouard et son frère Richard dans un tableau de John Everett Milais intitulé les Princes de la Tour.
Les fils d’Edouard IV, Edouard et son frère Richard dans un tableau de John Everett Milais intitulé les Princes de la Tour.

"C’en est fait, la volonté du tyran est exécutée ; le crime est accompli, le plus cruel, le plus impitoyable des meurtres qui aient jamais souillé cette terre. Messieurs Dighton et Forest, que j’ai subornés, ont effectué cet infâme acte de boucherie et tout féroces qu’ils sont, ces deux dogues sanguinaires se sont sentis émus de compassion, attendris. Ils pleuraient comme deux enfants en me parlant de leurs pauvres petites victimes.
-Oh ! disait Dighton, si vous aviez vu les pauvres enfants ainsi couchés…
-Si vous les aviez vus, interrompit Forrest, s’entourant ainsi l’un l’autre de leurs bras innocents, blancs comme de l’albâtre ! Leurs petites bouches, semblables à de belles roses rouges épanouies, un jour d’été, sur une même tige, étaient penchées l’une vers l’autre et s’entrebaisaient.
Près d’eux, sur leur oreiller, était un livre de prières et, en vérité, ajoutait Forrest, quand je l’ai aperçu, j’ai failli perdre toute ma résolution… mais le diable…
Et le misérable cessa de parler." (Shakespear, Richard III)
On pourrait le considérer comme un épisode de plus de la guerre des Deux-Roses, ce conflit qui, pendant plus de trente ans, va plonger l’Angleterre dans l’anarchie la plus complète. On pourrait le résumer à un coup d’Etat, un coup de force. Mais le meurtre des enfants d’Edouard IV est avant tout un symbole. William Shakespear l’a bien compris qui en a fait l’illustration parfaite de cette période troublée, la preuve que le désir de pouvoir peut conduire à tous les crimes, même les plus terribles.
Le règne d’Henri VI marque un tournant dans l’histoire d’Angleterre à plus d’un titre. Refoulé hors de France, ayant perdu tout espoir d’accéder au trône d’Hugues Capet et de saint Louis, Henri VI va se révéler aussi peu apte à diriger l’Angleterre. Le pays, qui a beaucoup misé et beaucoup perdu dans l’aventure française, est plongé dans une situation économique désastreuse et les mécontents se multiplient. Au sein de la noblesse comme ailleurs. Une situation explosive dont les York, famille issue d’un second fils d’Edouard III, ont décidé de profiter afin de s’emparer du trône. Ce sera le début de la guerre des Deux-Roses -du nom de l’emblème des deux familles, la rose blanche pour les York et la rouge pour les Lancastre.
En 1455, Richard d’York, vainqueur à la bataille de Saint Albans, s’empare d’Henri VI, le fait prisonnier et se déclare "protecteur" du royaume. Un titre qui masque à peine la prise de pouvoir du parti de la rose blanche… mais pour peu de temps. Car les Lancastre ne se déclarent pas battus : Marguerite d’Anjou, l’épouse d’Henri VI, a levé une armée. Elle avance sur les Yorkistes et les bât à Wakefield… où Richard perd la vie. En 1460, Henri VI peut remonter sur le trône. Il y restera jusqu’à sa mort… un an plus tard. C’est alors que le trône revient, légalement, au nouveau chef de la maison d’York, Edouard, fils de Richard d’York.
Après tant d’années de luttes intestines, d’incertitudes, le règne d’Edouard IV est bienvenu. Ce sera un règne d’à peine vingt ans mais vingt années durant lesquelles son frère, Richard, fera preuve d’une loyauté à toute épreuve. Une loyauté qui, finalement, ne pourra guère résister à l’appel du pouvoir.
En 1483, Edouard IV meurt soudainement. Ses fils sont encore des enfants et Richard y voit une occasion inespérée pour jouer les premiers rôles. S’instituant tout d’abord régent pour ses neveux, âgés de 9 et 12 ans, Richard ne va pas tarder à désirer la couronne elle-même. Il fait enfermer ses neveux dans la Tour de Londres et décide de les faire destituer. Pour se faire, Richard convoque le Parlement et le somme de déclarer les fils d’Edouard inaptes à la succession car adultérins. Le Parlement, sans doute par lâcheté plus que par conviction obtempère.
La discussion ne semblait plus possible et Richard III fermement installé sur le trône. Pourtant, après l’été 1483, on n’entendit plus parler d’Edouard (V) et de son jeune frère, Richard duc d’York. Ont-ils été assassinés ? C’est vraisemblable bien que la question soit, encore aujourd’hui sujette à controverse. Et s’ils sont morts, l’assassin est, à n’en pas douter, Richard III, leur oncle. Un oncle qui préférait les écarter définitivement du trône. Tel est du moins d’opinion de Shakespeare qui, dans la pièce éponyme, brosse un portrait effrayant du second roi de la maison d’York. C’est également l’opinion des plus fervents opposants historiques de Richard III, les mêmes qui soutiennent malgré tout la thèse de la survie d’un des enfants, Richard d’York.
De fait, l’action du Parlement qui avait accusé Elisabeth Woodville, l’ancienne reine, d’adultère, était insuffisante. Toute usurpation, on le sait, entraîne immanquablement une réaction : la noblesse se divise, s’oppose. Elle l’avait fait durant la guerre des Deux-Roses, qui opposait les York aux Lancastre. Une guerre qui n’était pas totalement éteinte puisque la rose rouge des Lancastre survivait en la personne d’Henri Tudor, comte de Richemont. Et Richard n’avait certainement pas les moyens de s’aliéner la noblesse par deux fois. Mais dans ce cas, pourquoi faire l’effort de faire destituer les enfants du précédent roi par le Parlement ? Quel besoin avait-il de traîner sa belle-sœur dans la boue, au risque de voir sa procédure échouer ? Qui plus est, si Richard III n’a pas hésiter à faire assassiner ses neveux, comment croire, réellement, que l’un d’eux aurait pu survivre ? La question, pourtant, se posera quelques années plus tard, lorsque, en 1493, un homme, prétendant être le fils cadet d’Edouard IV, se présentera afin de récupérer la couronne qui lui avait été ravi. La Bourgogne, l’Ecosse apporteront leur soutien au prétendant miraculeusement épargné. Jamais, pourtant, il n’expliquera comment il avait survécu. Et pour cause. Il y a fort à parié, en effet, que le "fils d’Edouard" n’ait jamais été qu’un aventurier également connu sous le nom de Warbeck. Quoi qu’il en soit, il n’effrayera pas longtemps la couronne anglaise : abandonné par ses troupes, il sera livré à Henri VII -qui réunit par son mariage les maisons d’York et de Lancastre-, enfermé puis, suite à une tentative d’évasion, exécuté en 1499.
L’aventure de Warbeck, qui rappelle évidemment celle des faux Louis XVII ou des Anastasia, n’est qu’un soubresaut dans la lutte entre les York et les Lancastre. Le meurtre des enfants d’Edouard IV, par contre, met en exergue un phénomène qui se retrouve dans toutes les dynasties : l’absence de scrupule et la guerre de pouvoir. Deux phénomènes dont les fils d’Edouard ne seront certes pas les seules victimes et que l’on retrouve à peine cinquante ans plus tard avec l’aventure de lady Jeanne Grey.
Belle, instruite, lady Jeanne Grey, arrière-petite-fille d’Henri VII, doit surtout à l’ambition de sa famille de mourir à dix-sept ans.
La santé du jeune roi Édouard VI, fils unique d’Henri VIII, était vacillante depuis longtemps déjà et de nombreux seigneurs craignaient de voir lui succéder sa demi-sœur, Marie Tudor, catholique intransigeante. John Dudley, chef du parti protestant et beau-père de lady Jeanne, réussit à convaincre le roi mourant de désigner cette dernière comme héritière de la couronne et, le 6 juillet 1553, à la mort d’Édouard VI, Jeanne est effectivement proclamée reine d’Angleterre. Son règne durera… treize jours : le 19 juillet, Marie Tudor réussit à faire reconnaître ses droits et à enfermer Jeanne et sa famille à la Tour de Londres. L’ex-reine et son mari seront condamnés à mort et exécutés le 12 février 1554.

Les Fils des Han

Han Gaozu de la dynastie Han.
Han Gaozu de la dynastie Han.

C’est après une période d’anarchie et alors que "l’empire" chinois n’en est qu’à ses prémices qu’apparaît Lieou Pang, un capitaine aventurier qui, après s’être constitué une troupe avec d’anciens prisonniers, s’empare du pouvoir et fonde la dynastie des Han. Une dynastie qui saura garder le pouvoir pendant quatre siècles et qui acquérera une telle légitimité que les Chinois modernes sont encore fiers de se dire Fils des Han.
Avec Lieou Pang, les lettrés confucéens ne sont guère à l’honneur : cet homme, resté simple, ne croit qu’à l’action. Après sa mort, en 195 av. J.-C., c’est la mère du « dauphin », trop jeune, qui tient les rênes pendant quinze ans, éliminant sans scrupules tous les éventuels rivaux. Des princes sans éclat lui succéderont sur le trône jusqu’à ce qu’arrive, en 140 av. J.-C., un empereur à la personnalité forte, Wou-ti. Cet homme remarquablement intelligent arrive au pouvoir à seize ans et le gardera pendant cinquante-trois ans. Il représente, en quelque sorte, l’équivalent de Louis XIV…
Pour lutter contre l’envahissante noblesse, Wou-ti réhabilite les lettrés, posant les bases du tout-puissant mandarinat, dont les membres, conseillers de l’empire, sont recrutés « sur concours ». À l’extérieur, il entreprend la conquête de la haute Asie, alors dominée par les Huns, ancêtres des Turcs et des Mongols. Ces barbares nomades, aussi brillants cavaliers qu’habiles archers, sont, pour les paysans chinois, un perpétuel fléau. Après avoir, en vain, sollicité l’appui des Scythes du Turkestan russe, Wou-ti lance le plus loin possible, à travers le Gobi mongol et la haute Mongolie, des raids qui surprennent l’ennemi. Après quoi, des paysans chinois viennent fonder de nouvelles colonies.
Wou-ti convoite également les steppes d’Asie centrale occupées par des peuples sédentaires d’origine indo-européenne et, en 108 av. J.-C., s’empare des deux oasis du Lob-nor et de Tourfan (dans le Turkestan chinois). On voit même, en 102 av. J.-C., un capitaine chinois pousser jusqu’en Ferghâna (Turkestan russe) pour en ramener des étalons capables de rivaliser avec les petits chevaux de Mongolie.
Cependant, les Huns de Mongolie sont loin d’avoir désarmé : en 99 av. J.-C., ils mettent en pièces une armée de cinq mille Chinois, donnant, sans le savoir, raison aux lettrés pacifistes qui protestent sans cesse contre la politique d’expansion de l’empereur. Cependant Wou-ti ne les écoute guère et agrandit encore son empire de la province de Canton et de celle de Tchô-kiang (au sud de Shanghai). Enfin, il étend la domination chinoise au nord-est sur une partie de la Corée et au sud-est sur le pays annamite (jusqu’à Huê).
Cette œuvre immense sera prolongée par l’arrière-petit-fils de Wou-ti, Siuan-ti (73-49 av. J.-C.), qui continue la conquête de l’Asie centrale et écrase définitivement la puissance hunnique en obtenant qu’un des deux chefs de la Mongolie se reconnaisse vassal de la Chine, en 51 av. J.-C. Quant au deuxième chef des Huns, il va fonder un nouveau royaume dans le Turkestan russe d’où, quatre siècles plus tard, partira Attila à la conquête de l’Europe.
Les derniers souverains Han ne seront guère à la hauteur de leurs ancêtres : rivalisant de débauche, ils permettront à un habile politicien, Wang Mang, d’usurper le pouvoir en l’an 8 de notre ère.
Influencé par les lettrés, Wang Mang entreprend de grandes réformes, notamment dans la redistribution des terres aux paysans dépossédés par les grands seigneurs. Dans tout le pays, des fonctionnaires reçoivent mission de réglementer et de surveiller les mécanismes économiques. Des tracasseries qui provoquent une vive résistance, à la fois de la noblesse ruinée et des paysans eux-mêmes, affamés par cette perturbation de l’économie.
Cette initiative, rien moins qu’heureuse, entraînera l’assassinat de Wang Mang, la révolte de toute une région -menée par les Sourcils Rouges, des brigands-, le saccage, par deux fois, de la capitale et le rétablissement, après un double coup d’État, de la dynastie Han.
Le nouvel empereur, Kouang Wou-ti, va réimposer l’autorité de la Chine sur l’Annam révolté et sur les Huns de Mongolie intérieure, qui acceptent la suzeraineté chinoise en 48 et sont établis comme fédérés sur la frontière nord. Mais la conquête la plus importante pour les relations extérieures chinoises sera l’œuvre du fils de Kouang Wou-ti, l’empereur Ming-ti (58-75) : il envoie ses meilleurs généraux soumettre les oasis du bassin du Tarim, en Asie centrale, étapes indispensables des caravanes entre la Chine, l’Inde, l’Iran et tout le bassin méditerranéen.
Grâce à un capitaine intrépide, Pan Tchao, les princes de ces oasis, également pressentis par les Huns pour devenir leurs alliés, entrent, bon gré mal gré, dans l’orbite chinoise. En 94, la dernière oasis rebelle rend les armes et Pan Tchao est promu au rang de protecteur général des contrées d’Occident. Trente ans plus tard, son propre fils, Pan Yong, devra reconquérir tout le Tarim révolté, mais peu importe…
Si les Chinois s’acharnent à garder le contrôle de cette région, c’est qu’elle est la seule voie terrestre par laquelle ils peuvent expédier en Asie Mineure, alors sous tutelle romaine, leurs produits, et notamment la soie, qu’ils cultivent depuis les temps les plus anciens et dont le monde gréco-latin raffole. Les Latins n’ont d’ailleurs d’autre mot pour désigner les Chinois que Seri, et la Chine Serica, c’est-à-dire « le pays de la soie ».
Une Route de la Soie dont le contrôle est capital pour les Chinois et qui va, en sens inverse, jouer un rôle immense pour la diffusion en Extrême-Orient des civilisations indo-européennes et, surtout, de la grande religion de l’Inde, le bouddhisme.

Tibère, l’empereur républicain

Buste de l'empereur Tibère (42 avant J.-C.-37 après J.-C.).
Buste de l’empereur Tibère (42 avant J.-C.-37 après J.-C.).

Si Auguste avait fait semblant de respecter la République tout en mettant en place l’empire -ou du moins le principat-, Tibère, son successeur sera bel et bien empereur… sans pour autant en avoir l’envie, le désir. Et il s’en faudra de peu pour que le rêve d’Auguste ne s’effondre avec un retour à la République.
De fait, lorsque Auguste meurt, en 14 après J.-C., c’est le règne de l’incertitude et de l’inaction. Tibère ne veut pas réclamer les pouvoirs qui lui seront nécessaires pour régner ; et le Sénat hésite à accéder à la volonté d’Auguste et à reprendre les pouvoirs qui lui avait été ravis, ce qui équivaudrait  à un retour à la République pleine et entière et non plus apparente comme sous le « règne » d’Auguste. Un mois durant, le Sénat va hésiter, osciller pour finalement octroyer à l’héritier désigné ce qui signe l’acte de décès de la République. Le plus étonnant, c’est que Tibère sera sans nul doute l’empereur le plus attaché aux valeurs de la République, celui qui la regrettera la plus, qui comprendra le plus ce qu’elle représentait… pour la bonne et simple raison qu’il était lui-même fils de la République.
Né en 42 avant J.-C., Tibère est le fils d’un officier d’Auguste. Il ‘a que quatre ans lorsque sa mère, alors enceinte de son frère Drusus, se sépare de son père et épouse Auguste. La question de sa succession va être au coeur des dernières années de « règne » d’Auguste et le moins que l’on puisse dire c’est que Tibère n’était pas dans ses préférés. Son frère, Drusus, avait plus de charme aux yeux d’Auguste ; mais surtout, celui-ci comptait sur sa fille, Julie, mariée à Agrippa, un général, pour lui assurer une descendance. Elle semblait devoir être incarnée par les fils d’Agrippa et de Julie, Caïus et Lucius, mais la mort d’Agrippa, en 12 avant J.-C., allait poussé Livie, la mère de Tibère, à jouer la carte de ses rejetons : elle poussa Tibère à se séparer de sa femme et à épouser Julie, devenant de fait le beau-fils et le gendre d’Auguste. La mort de Drusus, en 9 avant J.-C., puis celle des deux petits-fils d’Auguste, en 2 et en 4 après J.-C. Avait fait le vide dans les prétendants désignés à la succession d’Auguste. Ne restaient que Tibère et que le fils de Drusus, son neveu Germanicus, qu’il adoptera alors même qu’Auguste faisait de Tibère son fils. Un imbroglio dynastique qui sera l’apanage de la dynastie julio-claudienne. Avec lui commence la dynastie des julio-claudiens, les premiers, la gens Julia, descendant d’Auguste, la seconde, la gens Claudia, descendant, comme Tibère lui-même, de Livie.
Au final, c’est donc le plus républicain des héritiers d’Auguste qui accède au pouvoir. Après les expéditions menées sous l’autorité de son beau-père et père, Tibère va préférer jouer la paix, en préservant a Pax romana, ce qui consistait à ne pas entreprendre d’expéditions offensives et à se contenter des frontières existantes de l’empire. Côté politique intérieure, Tibère va, dans un premier temps, augmenter les pouvoirs du Sénat. Mais rapidement, la gestion familiale de Tibère va entrainer de vives tensions avec le Sénat, preuve qu’il est désormais acquis que la République est morte puisque des affaires de familles deviennent des affaires d’Etat. Les tensions seront même telles que Tibère, dégoûté des attaques incessantes du Sénat qui l’accusait d’avoir fait assassiner son neveu -le fils de Drusus- Germanicus, et des complots multiples, décidera de quitter Rome et de se retirer à Capri (26 après J.-C.). Atteint, selon Tacite et Suétone -dont la partialité est à démontrer- de délire de persécution, voir de folie, l’empereur avait laissé le pouvoir aux mains de son conseiller, Séjan qui saura largement en tirer profit. De fait, durant quelques années, c’est bien Séjan qui gouverne l’empire. C’est lui aussi qui multiplie les tensions, quitte, pour se faire, à inventer des complots : assassin lui-même de Drusus, le fils de Tibère, Séjan tentera d’impliquer les héritiers de Germanicus dans ses intrigues contre l’empereur. Le complot dénoncé, Agrippine la vieille, épouse de Germanicus, ainsi que deux de ses fils seront emprisonnés et Séjan tué avec toute sa famille (31 après J.-C.). Seul survivant de l’affaire : Caligula, le dernier fils de Germanicus et d’Agrippine, qui sera l’héritier de Tibère. Ce dernier, toujours retiré à Capri, mourra en 37. L’histoire veut qu’il soit tombé évanoui et que l’on ait cru un peu rapidement à sa mort. Le préfet s’étant empressé de proclamer Caligula empereur devait rapidement rectifier son erreur… en étouffant Tibère qui venait de reprendre connaissance.

Théodoric le Grand : sur le trône des Césars

Pierre gravée portant le nom de Théodoric.
Pierre gravée portant le nom de Théodoric.

Si pour les Romains, Théodoric était un barbare, il était tout de même de sang royal, né dans la famille des Amales qui, au Vie siècle, régnait sur les Ostrogoths. Envoyé en otage à Constantinople à l’âge de 7 ans, Théodoric profita de son séjour byzantin pour se cultiver, apprenant le grec et les latin, s’initiant à la culture classique. Et à la mort de son père, c’est tout naturellement qu’il prit sa suite à la tête des Ostrogoths. Pas de tous cependant, car durant des années Théodoric aura à combattre un adversaire de même nature, le bien nommé Théodoric le Louche. Côté byzantin, si l’Ostrogoth commença par s’opposer à l’empereur Zénon, il contribuera au rétablissement de ce dernier ce qui lui vaudra la reconnaissance éternelle de l’empereur. Enfin, reconnaissance éternelle, sans doute pas, mais au moins les titres de patrice, de consul et de magister militum, des titres qui allaient aiguisé l’appétit de l’Ostrogoth plutôt que de le calmer. Sentant le danger et plus fin politique qu’il ne semblait de prime abord, Zénon va habilement détourner les ambitions de Théodoric en orientant sa soif de pouvoir vers la péninsule italienne qui, depuis 476, était aux mains d’un autre barbare, un certain Odoacre, dont la tribu avait été détruite par les Ostrogoths et qui, depuis ce temps, avait mis ses talents au service des Romains. Mais comme Théodoric, Odoacre était ambitieux ; comme lui, mais avec plus de succès, il s’était fait le zélé serviteur des empereurs d’Occident avant de détrôner le dernier d’entre eux, Romulus Augustule, et de prendre, dans les faits si ce n’est dans les titres, sa place.
Doté du titre de patrice, il s’était placé volontairement sous l’autorité -non pas réelle mais au moins officielle- de l’empereur byzantin Zénon, ce qui lui avait valu une certaine tranquillité. Mais dès lors que Zénon était directement menacé, c’est sans états d’âme aucun qu’il va lancé la redoutable Théodoric « dans les pattes » d’Odoacre… qui n’opposera qu’une faible résistance. En août 489, Théodoric pénètre avec ses hommes en Italie. Deux défaites suivies d’une victoire marqueront la première année de combat d’Odoacre qui ne trouvera finalement son salut que dans l’enceinte de Ravenne, capitale de l’empire d’Occident depuis le règne d’Honorius (début du Ve siècle). Un répit pour le patrice romain, mais un répit conséquent : Théodoric mettra pas moins de trois ans pour déloger son adversaire, qu’il fera finalement poignarder au cours d’un banquet.
Enfin maître de l’Italie, Théodoric apparaît comme une « préfiguration de Charlemagne », comme le souligne justement l’historien Georges Calmette. En effet, après l’Italie, ce sera la Rhétie, la Norique, la Panninie, l’Ilyrie qui annonçait une véritable renaissance de l’empire romain. C’est d’ailleurs dans l’harmonie et sans doute parce qu’il était lui-même imprégné de culture classique, qu’Ostrogoths et Romains devaient vivre en une relativement bonne intelligence. Plus Romain que les Romains, Théodoric rétablit le Sénat, les fonctionnaires, les préfets du prétoire et se complut à rendre leurs dignités passées à quelques grandes familles romaines, partageant les responsabilités entre Barbares et Romains. Cassiodore, Boèce, Symmaque, les esprits les plus brillants de leur temps seront de l’entourage de Théodoric qui, en trente-trois ans de règne, saura redonner à la péninsule une prospérité depuis longtemps oubliée. Les routes furent à nouveau entretenues, les aqueducs restaurés, les palais entretenus ; Ravenne, capitale du nouveau seigneur de l’Italie, se couvrit de monuments d’inspiration byzantine.
En politique extérieure, Théodoric pensa également faire revivre la grandeur passée de Rome en étendant son influence au delà des Alpes. Ainsi, il maria ses filles aux souverains francs, burgondes ou wisigoths et parvint même, en assurant la tutelle de son petit-fils Amalric, à étendre son pouvoir sur les Wisigoths et sur la Septimanie.
Une réussite incontestable, en fait… s’il n’y avait pas eu la question de la religion. En effet, si les Ostrogoths, peuple de guerrier, se contentait avec plus ou moins de soumission des postes militaires quand les postes de gouverneurs, l’administration toute entière était aux mains des Romains, ces derniers conservaient une méfiance instinctive. Car si Théodoric avait bien l’air civilisé, s’il était couvert d’un verni de culture greco-romaine, il n’était toujours qu’un barbare et un barbare arien. Une situation qui lui valait donc la méfiance des Romains, mais aussi et, fort logiquement, de l’Eglise. Une méfiance qui verra sa confirmation après que Théodoric ait usé de mesures de rétorsions suite aux persécutions anti arienne entreprises par l’empereur byzantin Justin. Boèce, qui avait tenté de rapprocher le Saint-Siège de Byzance, le payera de sa vie ; le pape Jean, envoyé à Constantinople pour plaider la tolérance, sera jeté en prison pour son échec.
La preuve, à la veille de la mort du grand chef barbare, que ce qu’il avait toujours désiré, unir Romains et Goths, ressusciter l’empire des Césars, était une entreprise ne se limitant pas à la seule conquête militaire.

Landru : le sieur de Gambais

Henri Désiré Landru (1869-1922) lors de son procès.
Henri Désiré Landru (1869-1922) lors de son procès.

Jeanne Cuchet, veuve, 39 ans ; Line Laborde, veuve, 47 ans ; Marie-Angélique Guillin, veuve, 52 ans ; Berthe-Anna Héon, veuve, 55 ans ; Anna Collomb, veuve, 39 ans ; Lyane Jaume, en instance de divorce, 36 ans ; Andrée Babelay, célibataire, 19 ans ; Célestine Buisson, veuve, 44 ans ; Annette Pascal, divorcée, 36 ans ; Marie-Téhrèse Marchadier, célibataire, 39 ans.
Elles sont veuves pour la plupart, souvent d’âge mûr -si l’on excepte Andrée Babelay- et, à défaut de "prince charmant", rêvaient de s’établir, de convoler. C’est exactement ce que leur proposait Henri Désiré Landru, un homme d’apparence quelconque, petit, à moitié chauve mais qui, en ces années 1914-1919, avait le mérite de ne pas être au front, de ne pas être mort. Il est certain que la "carrière criminelle" de Landru aurait été toute autre sans cette guerre qui devait laisser le pays exsangue, ses fils dans la boue des champs de bataille. Le nombre d’hommes est alors plus que réduit alors que celui des veuves, à l’inverse, ne cessent d’augmenter. Dire que certaines femmes étaient moins "regardantes" serait trop facile. Car si Landru eut le succès qu’on lui connaît, il est certain qu’il le dut à son charme autant qu’à la situation des femmes en France pendant la guerre. Une guerre qui, simplement, devait faire quelque peu oublier la prudence généralement de mise. Une guerre qui allait révéler chez lui ses instincts les plus meurtriers.
Rien, apparemment, ne destinait Landru à être un tueur en série. Issu d’une famille modeste mais travailleuse, Henri Désiré a 22 ans lorsqu’il se marie -en 1891- avec Marie-Catherine Rémy. Elle lui donnera quatre enfants et, avec elle, il semble mener une existence des plus ordinaires. Mécanicien, comptable, vendeur, fabricant de bicyclettes : Landru enchaîne les métiers pendant dix ans avant de se tourner vres une activité plus lucrative : l’escroquerie. Mais Landru n’est pas si doué que cela : deux ans de prison en 1904, treize mois en 1906, trois ans en 1910. Tel est le "palmarès" de Landru. Assez pitoyable s’il n’y avait, déjà, une escroquerie à l’annonce matrimoniale. Ce sera la dernière arrestation de Landru. L’affaire se déroule à Lille et lui rapportera quelques 10 000 francs.
En fait, on peut sérieusement se demander ce qui va motiver réellement les crimes de Landru. En effet, en cinq ans de méfaits, après onze meurtres -en effet, le fils de Jeanne Cuchet, sa première victime, mourra également de la main de Landru-, Henri Désiré ne récoltera pas plus de 35 642 francs. Une misère au vu des risques encourus ; une misère au vu de l’investissement, en temps et en argent. Car Landru n’a pas ménagé sa peine. Lorsque la guerre éclate, en 1914, Landru est déjà sous le coup d’une quatrième condamnation par contumace ; une condamnation pour laquelle il devrait se voir infliger la relégation à Guyane. Doté d’une fausse identité, il prend la fuite, devient déserteur… et reprend ses escroqueries. Sa dernière affaire, notamment, sera le cœur de son dispositif. Amélioré.
M. 47 ans, traitement 4 000 francs et économies, allant s’établir en colonie, désire conn. Vue mariage, Dame âge indif. Situation même modeste si seule, qui consente à le suivre. Proposition sérieuse. Agence et interm. s’abstenir.
Voilà l’annonce que Landru va passer dans les journaux. C’est peu dire que l’appât va fonctionner à merveille : près de 300 femmes répondront à ses annonces. Landru, quant à lui, met sur pied une organisation méticuleuse : répondant sous 90 pseudonymes, louant 7 appartements, 2 maisons, 2 garages, il dresse des sortes de "fiches signalétiques" sur les femmes qui lui répondent. Et à celles qui l’intéresse, il renvoie une lettre, identique :
Je voudrais un amour durable, des sentiments qui puissent assurer un bonheur durable. Je suis assez indépendant pour vous déclarer, tout de suite, que, de mon côté, les conditions d’avoir financier n’entreront en rien dans le choix d’une épouse.
Une douce musique pour ces femmes. Une musique fausse comme le prouve la lecture du carnet de Landru. De fait, si cette affaire est si intéressante, a tant passionné à l’époque, c’est aussi en raison de ce fameux carnet. Un carnet sur lequel Landru notait la situation familiale, financière, le physique de ses correspondantes. Un carnet dans lequel il note toutes les dépenses, comme l’achat d’un aller et retour et d’un aller pour Gambais ; un carnet qui va devenir une pièce à conviction essentielle dans le dossier de l’accusation.
De fait, Landru aurait pu poursuivre longtemps ses méfaits si les familles des victimes de ce don Juan n’avaient fini par s’inquiéter. La famille de Madame Buisson, celle de Madame Collomb ont déjà écrit au maire de Gambais -dans les Yvelines- où leurs parentes semblent avoir disparu. Mais le fiancé de ces dames est alors un certain monsieur Fremyet… que personne ne connaît à Gambais. Le 9 avril 1919, le hasard veut que la sœur de Madame Buisson, mademoiselle Lacoste, croise le fameux Fremyet à la Samaritaine, à Paris. Elle tente de la suivre puis prévient la police… qui, deux jours plus tard, arrête un certain Guillet, alias Henri Désiré Landru dans l’appartement qu’il partage avec sa maîtresse rue Rochechouart. Dans l’appartement et dans un garage qu’il loue, la police découvre des vêtements féminins, de la lingerie, une perruque, des valises, du mobilier, des pièces d’identité -90, on l’a dit-, un fichier portant le nom de 283 femmes et des carnets de compte, minutieusement mis à jour. Interrogé, Landru garde le silence mais la découverte d’ossements carbonisés dans sa cuisinière de Gambais relance l’affaire.
Il faudra pas moins de deux ans et demi, notamment en raison du silence de Landru, pour parvenir à ficeler l’instruction. En novembre 1921, à Versailles, s’ouvre son procès. L’assistance est nombreuse tant le mythe Landru fascine. N’a-t-on pas trouvé quelques 4 000 bulletins de vote portant son nom aux dernières élections ?
La défense de Landru, admirablement soutenue par son avocat, Me Moro-Giafferi, est toujours la même : il est escroc, certes, mais d’assassinats, point. De fait, malgré l’accumulation de preuve, le manque de cadavres pose problème et engendre même le doute. C’est là-dessus que compte Moro-Giafferi qui, à la fin du procès, tente d’emporter la conviction du jury :
-Regardez cette porte, leur enjoint-il. Regardez ! Elles sont là, dans l’antichambre du prétoire ; elles attendent pour entrer ; les prétendues victimes de Landru, elles vont apparaître… La porte va s’ouvrir…
Tout tourne la tête et l’avocat de conclure :
-Vous voyez bien que votre conviction n’est pas faite !
Un coup de maître, mais un coup dans l’eau. Car son client n’a pas suivi. Tout le monde a regardé la porte… sauf lui.
Après trois heures de délibérations, Henri Désiré Landru est condamné à la peine capitale. Il sera exécuté le 23 février 1922 dans la cour de la prison.

Les bosquet sacrés des Celtes

Réunion de druides (gravure du XIXe siècle).
Réunion de druides (gravure du XIXe siècle).

Dans La Guerre des Gaules, César évoquent clairement des réunions de druides dans des bois sacrés :
« Chaque année, à date fixe, les druides tiennent leurs assises en un lieu consacré, dans le pays des Carnutes, qui passe pour occuper le centre de la Gaule. »
Or, si les druides avaient indéniablement un rôle politique et parfois judiciaire, ils sont surtout restés fameux pour le côté religieux de leur fonction ; et, justement, c’est dans les forêts que les Celtes avaient pour usage de vénérer leurs dieux.
De fait, la religion celte était intimement liée à la nature et notamment au monde sylvestre ou aux sources dans lesquels les Celtes voyaient volontiers la demeure des esprits, des dieux. Lacs, sources, bosquets : autant de lieux parfaitement anodin au yeux des Romains et des Grecs qui étaient en fait des lieux sacrés, de véritables temples naturels. Lucain, un auteur du Ier siècle , raconte que l’armée de César avait détruit un de ces lieux sacrés découvert dans une forêt. Dans La Pharsale, il évoque précisément « un bois sacré qui, depuis les temps les plus anciens, n’avait jamais été profané ». Mais la description qu’il en fait évoque clairement l’Au-delà, le monde des morts plus que des dieux :
«… entourant de ses branches entrelacées les ténèbres et les ombres glacées, à l’écart des mouvements du soleil ».
L’ombre, les ténèbres : voilà à quoi songe Lucain en décrivant ce bois sacré. Serait-ce que le monde des dieux est également celui des défunts ? Ou bien que les défunts sont assimilés à des divinités, qu’elles soient mineures ou non ?
De fait, et c’est étonnant à relever, la description que Lucain fait de ce bois sacré rappelle, selon la remarque de Miranda Green, spécialiste du monde celte, la description des Enfers dans L’Odyssée d’Homère. Un parallèle qui, même si l’on accepte l’idée que Lucain ait retranscrit un passage qu’il connaissait déjà pour illustrer son propos gaulois, laisse entendre que les Grecs anciens, avant de s’adonner à l’élévation de temples plus élaborés les uns que les autres, avaient une vision de l’Autre monde relativement proche de celle des Celtes et que c’est dans les bois, les ondes ou les entrailles de la terre qu’ils imaginaient la demeure des dieux.

Lord Sidney, une idole déchue

Portrait de sir Philip Sidney (1554-1586).
Portrait de sir Philip Sidney (1554-1586).

Homme d’Etat distingué, grand voyageur, poète émérite, sir Philip Sidney comptera au nombre des favoris de la reine Elisabeth avant de sombrer, comme souvent, dans la disgrâce.
Lui-même fils d’un homme d’etat, Philip Sidney fait ses études au très célèbre Christ College d’Oxford avant d’entreprendre un périple qui le conduit en France, en Allemagne et en Italie où il complètera son éducation et sa culture qu’il avait déjà grande. Séducteur et poète à ses heure, Sidney va devenir un intime de la reine Vierge qui se plaisait à l’appeler « mon Philip ». Une distinction qui se complétait avec un talent politique certain ce qui lui vaudra, en 1577, à seulement vingt-deux ans, d’être nommé ambassadeur auprès de l’empereur d’Autriche Rodolphe II. Une distinction qui lui fera aussi « oublier » sa place et son rang.
En effet, parce qu’il avait osé critiquer les projets de mariage de la souveraine anglaise avec le duc d’Anjou -projet qui ne verra jamais le jour-, Sidney devait subir l’ire royal avec pour conséquence l’exil. Retiré de la cour dès 1580, il sera envoyé par la froide souveraine sur le front des Pays-Bas où combattait déjà son oncle, Leicester. Blessé au cour d’une bataille contre les Espagnols, Sidney devait succomber à ses blessures. Outre la cour, c’est l’Angleterre toute entière qui devait le pleurer, elle qui s’était découvert un prosateur de génie, un poète plein de sensibilité, auteur de sonnets (Astrophel and stella) et d’un roman pastoral (Arcadia).